Alors qu’il y a huit ans, un accident de voiture allait changer le cours de sa vie, Claudia Di Iorio a su puiser dans son histoire une réelle force pour rebondir. À 24 ans, elle est la plus jeune membre du conseil d’administration d’une société d’État de l'histoire du Canada, soit la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ). Rencontre avec la lauréate du prix de la Relève de l'édition 2018 des Grands Monterois.
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« J’ai été très chanceuse dans ma malchance ! » s’exclame Claudia Di Iorio au beau milieu de l’entretien. Elle avait 16 ans lorsque sa vie a basculé. Le 24 juillet 2010, à la sortie d’un bar, ses deux copines et elle décident de retourner à la maison avec l’ami d’un ami. Le conducteur, Laurent Raymond, alcoolisé et téméraire, percute alors un arbre à 140 km/h !
Le diagnostic tombe: sévère traumatisme crânien, fractures des hanches et du bassin et paralysie du côté gauche. Claudia passe près d’un mois dans un coma profond. Lorsqu’elle se réveille, elle n’a pratiquement plus de souvenirs. Elle ne se rappelle pas comment écrire. Son parler est ponctué de « bogues ». Bref, « je suis partie de loin », explique-t-elle.
Sur la route de la rémission, Claudia fait deux mois de réadaptation intensive à l’Institut de réadaptation de Montréal. « C’était vraiment pas le fun », se souvient-elle. « La moyenne d’âge devait être de 65 ans, j’en avais 16. C’est un âge un peu bizarre, car tu ne peux pas vraiment aller au centre pour enfants, tu as le corps d’un adulte et tu as besoin d’équipement assez grand pour toi. Mais en même temps, tu as encore un peu les réflexes d’un enfant. Ça a vraiment été difficile, surtout que je voulais vraiment retourner à l’école ! »
Vers la fin de ses thérapies, Claudia se rappelle qu’elle allait en cachette à l’école et il n’était pas question pour elle qu’elle gradue avec des gens plus jeunes. Avec un horaire allégé, elle obtient finalement à temps son diplôme de secondaire 5. Mais le Cégep qui allait suivre, « ça a été encore plus difficile », confie-t-elle. « Je n’avais plus aucun repère. J’étais encore en situation assez précaire. Dans ma tête, j’étais là, j’étais prête, j’étais correcte, puis j’étais capable, mais j’avais besoin de soutien ».
Un déclic Puis est arrivé sa participation à Dérapages, le documentaire de Paul Arcand, sur la conduite automobile dangereuse des jeunes, sorti en avril 2012. « C’est là que j’ai « cliqué ». Surtout quand je suis allée à Tout le monde en parle. J’avais à peine 18 ans. Mais j’ai vu que mon histoire était intéressante. Il faut dire que j’ai un peu l’image de quelqu’un que l’on peut connaître ».
Malheureusement, la fameuse impression de penser que ça n’arrive qu’aux autres, dans ce cas-ci, c’était elle. « Je n’ai jamais pensé que ça allait m’arriver à moi », dira-t-elle plus tard en entrevue. D’autant que cela aurait pu être évitable, car « ce n’est pas un accident, c’est un crash, une collision, et c’est stupide, profondément stupide », commente-t-elle.
C’est quelque chose qui « ne devrait pas arriver, c’est une dépense pour l’État, une dépense de vies, d’effectifs », laisse savoir celle qui est aujourd’hui diplômée de l’École des affaires publiques et communautaires (ÉAPC) de Concordia.
Depuis la parution du film, Claudia donne bénévolement des conférences de sensibilisation sur la sécurité au volant dans les écoles. Elle est aussi porte-parole de Cool Taxi, une initiative fondée en 2012 par les pères des trois jeunes filles gravement blessées, et qui consiste en un système de coupons prépayés pour régler des courses de taxi.
Depuis un plus d’un an, Claudia est membre du C.A. de la SAAQ, ainsi que membre du Comité de la sécurité routière de cette société. Question bilan routier, en 2017, il y a eu 359 décès sur les routes du Québec, dont 75 décès parmi le groupe d’âge de 15 à 24 ans, en comparaison à 46 en 2016, 55 en 2015, 63 en 2014, mais aussi 128 et 97 en 2010 et 2011. « Oui, les chiffrent montrent que tous les progrès que l’on fait sont très fragiles. On ne peut pas prendre rien pour acquis. » Et c'est pourquoi « il ne faut pas arrêter le travail de sensibilisation », indique-t-elle.
Comme une façon pour elle de redonner, Claudia est également porte-parole de Code Vie, la nouvelle identité de la Fondation de l’Hôpital général de Montréal, là où elle a été soignée; en plus d’être aussi une tête d’affiche pour la Fondation NeuroTrauma Marie-Robert, dont les efforts vont au financement de la recherche sur les traumatismes crâniens. Selon leurs chiffres, plus de 13 000 Québécois sont victimes de traumatismes cranio-cérébraux chaque année. Soit la première cause de mortalité chez les moins de 35 ans.
Un arbre est mort…
En 2011, un an après la tragédie, l’arbre qui a été frappé par la voiture du chauffard a été abattu. « C’est que l’arbre qui était en plein cœur de la ville de Mont-Royal, c’est l’endroit où j’ai vécu le moment le plus dramatique de ma vie, mais c’est aussi [non loin de] là où j’ai reçu mon prix. Et c’est notamment grâce à ma communauté, en fait, si j’ai pu m’en sortir, puis aller de l’avant », dit celle qui se dit particulièrement touchée d'avoir été lauréate à l'édition annuelle des Grands Monterois.
Aujourd’hui étudiante en troisième année à la Faculté de droit de l’Université McGill, Claudia envisage son futur comme une combinaison entre le droit et une spécialité en matière de transport. « Tout ce qui est éthique et intelligence artificielle, ça m’intéresse beaucoup », souligne-t-elle.
« Dans un monde où les voitures seront autonomes, à quels genre d’enjeux devrons-nous faire face? S’il y a un problème, quel statut va avoir l’objet? Va-t-il avoir un niveau plus élevé parce qu’il aura une certaine intelligence? Ça va venir beaucoup plus vite que l’on pense! Comment est-ce alors que l’on peut se préparer à réagir? » se questionne-t-elle, tout haut.
Mais avant de pouvoir résoudre tout ça comme avocate, Claudia s’octroie aussi d’abord le droit de vivre sa vie à fond, proche de ses racines, en partant notamment à l’Université de Turin, en Italie, cet hiver, poursuivre ses études dans la langue de sa grand-mère, avec qui elle parle tous les jours.
En 2013, Laurent Raymond a plaidé coupable à une accusation de conduite dangereuse pour l’accident ayant causé de graves blessures à Justine Rozon, Évelyne Méthot et Claudia Di Iorio. Raymond a finalement purgé deux ans sur trois. « Évelyne Méthot et Justine Rozon vont bien », glisse Claudia. « Les deux sont présentement à l’université; et le lien entre nous trois est fort! », affirme-t-elle.
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